Les Martin

Les Martin se sont installés en aval du moulin. C'est un jeune couple. Dès leur rencontre, ils se sont mis à l'ouvrage. Pendant des jours, sans relâche, ils ont creusé la terre molle de la berge.  Les travaux sont terminés. Ils sont chez eux. Ils ont un nid douil­let. Leur nid. Une petite pièce, toute simple, dans laquelle on ac­cède par un étroit tunnel de quelques dizaines de cen­ti­mètres. Après l'accouplement, la femelle s'installera dans ce terrier afin d'y pondre cinq à six œufs.
Pour l'heure, les Martin, côte à côte, têtes inclinées, le bec serré, sont perchés sur une branche de saule. Ils resplendissent dans la lueur du matin. Les chatons dorés de l'arbre illuminent les deux tâches tur­quoise. De leur perchoir, ils scru­tent l'eau du ruisseau, éclaboussée par les premiers rayons du soleil. Ils sont à l'affût. Ils chassent. Un des Martin se raidit. Il resserre étroitement ses plumes. Il se concentre tel un nageur au départ de la course, afin d'accroître son aérodynamique. Il plonge dans l'eau comme un obus. Il perce le miroir liquide comme une flèche. Au moment de l'impact, il ferme les ailes. Sous l'eau, il les rouvre et il rame. Qu'a-t-il vu ? Il n'y a rien. Quelque éclat de nuage, un reflet qu'il aura pris pour une proie. Deux à trois coups d'ailes, il regagne son perchoir. Il s'ébroue. Il se sèche. Il se lisse. Puis il s'envole.
Telle une fusée, il remonte le ruisseau. Il frôle le mur du moulin. Il pique vers le bief tumultueux. Il se rétablit et c'est une balle traçante qui remonte le canal. Il se glisse sous la voûte de la frondaison. Le bolide avale les méandres. Il se rit des cour­bes et des sinuosités. Un merisier, abattu par l'hiver, lui bar­re la route ? Il l'évite au dernier moment ! Il fond dans le trou noir sous le pont écroulé. Il effleure le vieux bois. Il bi­furque. L'eau frissonne. Il freine. Il déploie les ailes. Il se pose sur un muret. De nouveau, il guette.

bergeronnette

On les nomme bergeronnettes parce qu'elles aiment l'eau et qu'elles raffolent des berges des rivières. Bergeronnettes car, grises, printanières ou des ruisseaux, fragiles mais infatigables  ber­gères, elles accompagnent le bétail qui broute dans le pré.
On les appelle lavandières, parce qu'elles élisaient domiciles près des lavoirs et que c'était un plaisir, aux premiers beaux jours, au moment des grandes lessives, de les voir sautiller sur les pierres mouillées et se percher sur la margelle du puits.
On les qualifie de hochequeues, parce qu'elles hochent la queue. On dirait qu'elles battent la mesure. Sans cesse.    
Elles sont de retour. Elles ont passé les mois d'hiver en Afri­que du Nord ou dans les pays de l'Europe méridionale.
En voici deux. Elles ont retrouvé les pâturages humides et verts qu'elles avaient quittés l'année précédente. Aujourd'hui, elles suivent la progression du troupeau comme, autrefois, elles sui­­­vaient le laboureur ou le glaneur. Toujours en alerte, dans l'her­be poudrée de pâquerettes, elles picorent les insectes et les petits invertébrés dérangés par les sabots des vaches.

Anguille

Après leur huitième année, aux premiers souffles du printemps, les anguilles s'extraient des nuits boueuses de l'hiver et prennent congé des eaux qu'elles ont envahies des années auparavant. Dotées d'une ancestrale énergie elles descendent les rivières et, se fiant à leur mémoire ou à la mémoire de l'eau, elles prennent le chemin du retour. Ou de l'aller. Le même.
C'est la période de l'avalaison : la vie est en aval. Dans toutes les mares, dans tous les étangs, dans toutes les rivières, du lac le plus septentrional de l'Europe au détroit de Gibraltar, zone par zone, pays par pays, région par région, dans tous les cours d'eau, le grand signal est passé.
L'été s'installe. La nuit tombe. Le vent se lève. L'orage menace. Dans le ciel d'encre, le tonnerre gronde. Une averse brutale et blanche dégringole. Le temps d'un éclair, le filet d'eau se transforme en torrent. Les anguilles se mettent en boules. Comme des balles de caoutchouc, elles dévalent dans le courant. Les voilà parties.

Coucou

Deux notes suffirent à Beethoven pour évoquer le printemps dans la Symphonie Pastorale. Avec le hautbois, la caille car­caille et répond au coucou qui vibre par l'anche de la cla­rinette. La nature s'éveille et le chant de l'invisible oiseau n'est plus qu'un rêve sonore. Pourtant, le chant se prolonge et de­vient un cri amoureux. L'appel redouble. Une troisième syllabe s'a­­l­an­guit. Le mâle, au plumage gris, hèle la femelle. On n'en­tendra que leurs voix. On ne les verra jamais. Ils ont élu do­micile, loin de la lisière du bois, au sommet de la colline, là-bas.
Étranges oiseaux que ces cuculus ! La femelle se pose sur la plus haute branche de l'éminence. De son perchoir, elle res­semble à l'épervier qui guette une proie. En réalité, elle dresse un état des lieux des domiciles et des couvées de tous les pas­se­reaux qui se trouvent sur son territoire. Elle choisit un nid et, dans la volée, évalue les qualités des futurs parents adoptifs. Son choix effectué, après avoir maintes fois pesé le pour et le contre - ce troglodyte me paraît bien agité comparé à la bon­homie de ce rouge-gorge -, elle attend que les parents oiseaux aillent faire leurs courses.